Je rentre des Chimériades et les étoiles sont encore dans mes yeux.
Cela faisait des années que j'espérais me rendre aux Chimériades. J'étais enfin décidé l'année dernière mais il ne s'est rien passé. Toutes les bonnes choses ont une fin, me suis-je dit, dépité... Puis en septembre dernier, surprise ! Annonce est faite que la chimère revient à la vie une fois encore. Prenant ma résolution à deux mains, mon appareil photo dans une autre, une poignée de dés dans la dernière (tout cela est normal, c'est aussi une manifestation cthuloïde), et je pars à la rencontre de mes semblables pour cette quatrième édition des Chimériades.
Les Chimériades ?
Vous ne connaissez pas les Chimériades ?
Ah ! Si vous ne connaissez pas les Chimériades il me faut vous narrer mon expédition vauclusienne du weekend du 8 mai.
Les Chimériades, qu'est-ce que c'est ?
- Les Chimériades, c'est une convention ludique, essentiellement rôliste, qui se déroule durant 3 jours dans un coin perdu du Lubéron.
- Cette convention a pour habitude d'inviter des auteurs de jeux et de romans liés de près ou de loin à l'univers du jeu. Traditionnellement, les Chimériades accueillent des invités internationaux.
- Une place particulière est faite aux jeux de Chaosium et à l'univers de Glorantha (peut-être le père de tous les univers apparus ensuite).
Historique des Chimériades
- Les Chimériades viennent de connaître leur quatrième édition.
- Les trois éditions précédentes ont eu lieu en 2007, 2009 et 2011.
- La fréquence est de deux ans, en théorie...
- Une cinquième édition devrait avoir lieu en 2016, en théorie...
Les invités
Note : tous les noms sont des hyperliens qui renvoient vers les fiches biographiques du GROG.Lors des éditions précédentes
- Greg Stafford pour RuneQuest et Pendragon,
- Charlie Krank, président de Chaosium Inc., pour l'Appel de Cthulhu,
- Denis Gerfaud, Pierre Lejoyeux, Rolland Barthélémy pour Rêve de Dragon et Hystoire de Fou,
- Frédéric Weil et Fabrice Lamidey pour Nephilim,
- Mathieu Gaborit pour Agone,
- Daniel Dugourd pour Maléfices,
- Nicolas Fructus,
- Grégory Privat,
- Jonathan Tweet.
Lors de l'édition 2014
- Charlie Krank, président de Chaosium Inc.,
- Jeff Richard, directeur général de Moon Design Publications,
- Robin D. Laws, attention GÉANT du JdR,
- Pierre Pevel, auteur des romans (Les Lames du Cardinal, adapté chez Sans-Détour),
- Loïc Muzy, illustrateur (Les Lames du Cardinal, romans et JdR), auteur des affiches de la convention (voir ci-contre),
- Mahyar Shakeri, l'un des auteurs français de JdR parmi les plus prolifiques.
Le site officiel de la convention nous offre ces courtes présentations des invités (manque Mahyar Shakeri, invité surprise) :
Voilà donc un bon plateau !
Le château de Buoux
Quand on parle des Chimériades il faut évoquer le lieu. La convention a lieu au sur la commune de Buoux, dans le Lubéron, dans un authentique château. La majeure partie de ce château date de la Renaissance (16ème siècle), une aile du 18ème siècle est en cours de reconstruction. Il ne s'agit donc pas d'une forteresse médiévale mais d'un château d'habitation incarnant les avancées de l'époque de sa construction. Ce décor est à la hauteur des invités des Chimériades.
L'intérieur a été complètement réhabilité et il permet aujourd'hui d'accueillir des colonies de vacances. Les chambres sont, de mon point de vue, le seul point faible dans cette fantastique convention : chambrée de 6 à 10 personnes. Prévoir les bouchons anti-bruit !
Les extérieurs sont aussi à la hauteur. Perdu dans la nature, entouré de collines, sur le flanc d'un vallon, le paysage invite au repos et à la rêverie.
Petit regret, en raison des travaux de reconstruction de l'aile du 18ème, des échafaudages et du matériel de chantier gâchent la vue. Mais c'est pour une bonne cause ! L'aile en question sera bientôt dotée d'une toiture qu'elle n'a jamais eu, la construction ayant été stoppée à la Révolution. Et on rêve déjà à la prochaine édition avec des chambres plus confortables et de vraies salles de séminaire pour les tables rondes.
Agenda de l'édition 2014
Jeudi
Il est possible d'arriver dès le début de l'après-midi.
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Vendredi
- 10H30 : 12H00 - Un plateau avec... Charlie Krank
- 10H30 : 11H30 - Un café avec... Robin D. Laws
- 11H30 : 12H30 - Une heure avec... Pierre Pevel
- 12H30 : 13H30 - Glorantha... mythes et magie
- 13H30 : 18H30 - Sessions de jeu de rôle
- 18H30 : 19H30 - La grande mêlée de Robin Laws
- 19H30 : 20H30 - L'Appel des profondeurs... avec Charlie Krank
- 19H30 : 23H00 - Repas (quart de poulet sauce miel et épices accompagné d’un gratin de pommes de terre et de rissoles, fromage de chèvre frais & salade, faisselle de fromage blanc à la confiture)
- 20H30 : tard dans la nuit - Sessions de jeu de rôle
Samedi
- 10H30 : 11H30 - Souscription, crowdfunding, financement public... l'argent et le jeu de rôle, animé par le GROG
- 11H30 : 18H30 - Semi-réel gloranthien "Rise of Ralios"
- 11H30 : 12H30 - Imaginaire et construction : les dessous des lettres avec Pierre Pevel
- 13H30 : 18H30 - Parties de jeu de rôle
- 19H00 - Clôture officielle
- 20H00 - PETA BBQ par Charlie Krank qui déchaine les enfers sur son barbecue personnalisé (dixit les organisateurs) pour plus de 100 convives
Dimanche
- 10H00 - Exfiltration vers le monde réel
Et votre serviteur dans tout ça ?
Dès l'arrivée je cherche des têtes "connues", connues entre guillemets car je vais avoir enfin l'occasion de rencontrer physiquement des personnes avec qui j'ai eu des échanges par forum et messagerie... il y a plus de 10 ans de ça !
Et comme rien ne se passe jamais comme on s'y attend je fais la connaissance du P'tit Timonier du GROG. Et j'apprendrai par la suite que j'ai covoituré un autre membre de l'équipage de la gare d'Avignon TGV jusqu'à Buoux.
Puis vient la rencontre que j'attendais le plus parmi mes anciens correspondants : un certain Hervé Carteau. Grand connaisseur de Glorantha, il jongle avec les points de vue des différents peuples, des différentes religions avec aisance et une verve déconcertante et parfois fleurie. Et c'est aussi le co-organisateur du semi-réel "Rise of Ralios" auquel je participerai samedi... fébrilité... car c'est un exercice totalement nouveau pour moi et je vais me retrouver aux cotés de quelques pointures de Glorantha...
Ça fait un moment que je parle de Glorantha. Pourquoi cet univers revient-il si souvent dans mes propos ? La raison est simple, évidente : c'est, de loin, l'univers le plus passionnant, le plus exotique et le plus cohérent qu'il m'a été donné de rencontrer, que ce soit en tant que joueur ou en tant que lecteur. Tolkien a pour lui d'être écrivain et je suis un grand amateur de son œuvre, mais les Terres du Milieu sont bien exigües et ternes face au foisonnement culturel et religieux de Glorantha.
La dernière fois que j'ai été joueur dans l'univers de Glorantha, avec RuneQuest comme système de jeu, c'était il y a vingt ans. Vingt ans ! Put... !!! Certains d'entre vous n'étaient peut-être même pas nés ! Vingt ans que j'attends ça ! Car oui ! Je vais à nouveau fouler le sol de Genertela, parcourir la Passe du Dragon, adresser mes prières aux dieux des tempêtes, et peut-être même mettre mon épée et mon âme au service du sinistre Humakt ! Trois fois louées soient les Chimériades !
Hum... hum... Je m'emballe...
Reprenons le cours de évènements.
Je passe la soirée de jeudi à jouer à Oltréé !, jeu bac à sable orienté vers l'exploration. Un joueur doit se faire cartographe, il dispose d'une carte à hexagone pour représenter l'environnement traversé. Les joueurs reçoivent des cartes à jouer, certaines sont des bonus, une autre un malus. Toutes ont un impact sur la scène et les joueurs doivent assurer le roleplay. C'est un élément de narration partagée qui donne un parfum particulier à ce jeu car, une fois qu'un joueur a réussi à se débarrasser de son malus, il peut piocher deux cartes de bonus et une autre carte de malus. Cela permet d'avoir des scènes cocasses et un jeu dynamique.
Après un petit déjeuner tardif je rejoins la cour intérieure du château où Robin D. Laws anime une table ronde où il est question du rôle du conflit dans l'élaboration d'un bon scénario (cf. son nouveau jeu : Hillfolk, dont Robin a maîtrisé une partie la veille au soir) et explique comment les situations conflictuelles sont génératrices de narration. J'admire Robin car il a largement contribué à la remise en cause de certains dogmes du jeu de rôle et à l'élaboration des concepts de jeu narratif et de narration partagée. Il est l'auteur de HeroQuest, système qui m'a ouvert les yeux et me procure énormément de plaisir à maîtriser. Dans cette conversation il est donc aussi question de HeroQuest, de la motivation des changements apportés entre la première et la seconde édition (question posée par l'auteur de ces lignes), de la seconde édition de Feng Shui qui sortira bientôt, des subtilités du Drama System qui motorise Hillfolk.
Suit une séance de questions-réponses avec Pierre Pevel autour du métier d’écrivain et des Lames du Cardinal, que je ne suis que partiellement. Je profite de ce moment pour faire quelques photos.
Retour sous le cèdre avec Jeff Richard et Robin D. Laws pour une autre séance de questions-réponses autour de Glorantha, du colossal Guide to Glorantha (parution cet été), de l’avenir de Glorantha, des prochaines parutions, du jeu de plateau The Gods War (campagne Kickstarter en approche et c'est du lourd dans tous les sens du terme). C'est passionnant. On y apprend que :
- Greg Stafford a commencé à travailler sur ce guide en 1979,
- Jeff a récupéré les notes (TOUTES les notes) de Greg Stafford, soit plus de 40 années de travail, et tous les textes de contributeurs,
- il a trié, hiérarchisé l'ensemble des textes pour aboutir à un index de 10.000 entrées,
- et donc la genèse de cette somme aura pris 35 ans !
Le temps passe trop vite. Je prends une paire de sandwichs, vite avalés, et je pars en quête de la table de Warhammer à laquelle je suis inscrit. Je la trouve dans la salle Vampire (la veille je jouais dans la salle Momie). La partie a commencé depuis un moment. Prétextant que je ne veux pas casser la dynamique du jeu par une arrivée maladroite dans l'histoire je me rends à ma chambre où, lâchement, j'opère un rattrapage de sommeil en prévision de l'évènement de la soirée : "Death must be given...".
Mais avant cela j'assiste à la consultation du bon docteur Laws, qui donne ses conseils de maîtrise à ses patients. Certains cas semblent désespérés mais Robin propose toujours des solutions alternatives. Robin D. Laws est une personne agréable à écouter, toujours très posé, toujours avec des chemises excentriques, un anglais clair et sans accent. Anglais. J'ai oublié de préciser que Robin et Jeff ne parle pas un mot de français, toutes leurs interventions sont donc en anglais. Et il y a toujours des participants de bonne volonté pour traduire si certains ne comprennent pas. Et en plus des invités il y a un certain nombre d'étrangers. L'anglais n'est pas aussi pratiqué que le français mais il occupe cependant une place importante.
C'est maintenant l'heure du repas et je n'ai pas eu l'occasion d'aborder la qualité de la restauration, assurée par les organisateurs. Les Chimériades ont la réputation d'être une convention où l'on mange plutôt bien. C'est vrai. Étant exigeant sur ce point j'avais quelques craintes, mais la nourriture, simple, est bien préparée. Même les sandwichs sont réussis ! Ah, le goule avec sa viande hachée cuisinée aux poivrons... Je dîne avec Hervé Carteau et Fabian Kuechler, colosse germanique, gloranthaphile averti et organisateur de convention. Et je ne vais pas les lâcher car "Death must be given..." !
Glorantha, je suis de retour ! Et j'en ai encore des frissons en écrivant ces lignes...
Nous sommes trois joueurs autour de la table, dont Hervé, avec Fabian comme meneur de jeu. Nous jouons trois humakti missionnés par leur temple pour résoudre un problème de fantôme. Problème : le fantôme semble être celui d'un humakti, ce qui est théoriquement impossible. Pour mieux comprendre le mystère de cette situation il faut savoir que :
- Humakt est le dieu de la mort,
- ses adeptes ne peuvent être rappelés une fois qu'ils sont auprès de lui dans l'Outre-Monde,
- ses adeptes (nos personnages par exemple) sont socialement morts, ils ont coupés tous les liens avec leur passé,
- ils répandent une aura de mort autour d'eux,
- ils ont obligation divine d'envoyer les non-morts à leur dernier repos
- et quand leurs épées, symbolisant Humakt, sortent de leur fourreau la lumière semble fuir.
L'illustration de droite est représentative de notre arrivée dans un village...
Le cœur du scénario était la récupération des os du fantôme hukmati, des os qui avaient pris pour habitude de danser.
Fabian a joué avec un élément pittoresque de Glorantha, en le pervertissant pour mieux nous surprendre. Il s'agit de Bundalini le géant ménestrel et sa joyeuse bande de squelettes dansants.
Une abomination du point de vue des humakti...
Et en plus ils jouent du xylophone sur leurs côtes... Imaginez la scène pour les trois humakti...
Illustration tirée du jeu vidéo "King of Dragon Pass", (c) A Sharp.L'illustration ci-contre ne rend pas hommage au cirque de Bundalini, un immense chapiteau où se produisent une trentaine de squelettes. Le satyre tenant la caisse à l'entrée se paye copieusement notre tête. Autant dire qu'autour de la table la pression commence à monter.
Mais Bundalini connaît bien le pays et il a avec lui un service d'ordre à la hauteur des psychopathes mortifères que nous sommes : une vingtaine de minotaures armés de lourdes haches.
Je passe sous silence certains évènements pour éviter d'être trop long. Tout cela nous permet quelques bons moments de roleplay, tiraillés entre nos obligations religieuses et la certitude de mourir sous les haches des minotaures, chose qui ne nous fait pas sourciller car nous sommes déjà mort et nous sommes la mort.
Le dénouement est finalement à la hauteur des abominations que nous avons rencontrés. Apocalyptique.
La journée de samedi est consacré au semi-réel gloranthien "Rise of Ralios". Il faudrait un autre article aussi long que celui-ci pour lui rendre hommage. Je vous conterai mes exploits à l'occasion. Sachez juste que sur la vingtaine de personnages, un seul a trouvé la mort : le mien !
Cette journée s'achève sur la cérémonie de clôture, avec un rappel des temps forts de ces trois jours et quelques anecdotes.
Et pour fêter la mort de la chimère Charlie Krank s'installe devant son barbecue infernal et rassasie l'assistance : plus de cent personnes. Impressionnant. Tout cela est bien sûr copieusement arrosé de vin ou de bière selon les goûts.
Épuisé par toutes ces émotions je vais me coucher tôt, entre minuit et demi et une heure du matin. Il faut être un minimum en forme le lendemain car nous devons partir tôt pour déposer notre compagnon du GROG à la gare d'Avignon TGV.
Qu’en retenir de façon assez objective ?
D’abord le site, parce que c’est ce qui apparaît en premier, surtout quand on fait fausse route (!), ce qui donne l’occasion de le voir sous plusieurs angles.
Ensuite l’organisation, dès l’arrivée (et même avant quand on regarde les panneaux sur la route…), tout est fléché, remise d’une enveloppe contenant le planning, les bons repas et les parties auxquelles on s’est déjà inscrit via le site web, les goodies (t-shirts, dés, gobelets).
Puis les invités, décontractés et abordables malgré la barrière de la langue pour les étrangers, malgré leur palmarès et leur réputation. Tel Jeff Richard dont c'est la troisième invitation, ils prennent un réel plaisir à se retrouver entourés de joueurs, sollicités et amenés à parler des projets pour lesquels on attendra encore de nombreux mois avant de les voir annoncés.
La restauration est plus qu'honorable. J'avais quelques craintes, notamment en raison du prix du séjour (trois jours, trois nuits, trois petits déjeuners, trois repas du soir, le tout pour 85 €). Il faut féliciter l'équipe cuisine qui a su assurer tant sur la qualité que sur les durées d'attente et le service.
Les participants n'ont jamais été à cours de bière malgré leurs efforts méritoires. Le nombre de bouteilles bues est tout simplement ahurissant !
Et puisque l'on parle des participants :
- sachez qu'ils ne sont ni caricaturaux (enfin… pas tous), ni vraiment différents de ce à quoi l’on s’attend dans une telle manifestation, un peu geek certes mais je n'en ai rencontré aucun qui m'ait raconté dans le détail les aventures (certainement passionnantes...) de ses personnages,
- la gente féminine était bien représentée, tant dans l'organisation qu'autour des tables, même si la parité est encore loin d'être atteinte.
Et pour finir il faut aussi évoquer la variété des jeux, dont on peut se faire une idée en se rendant sur la page de réservation des parties. Finalement Glorantha ne représente qu’une très faible proportion des parties jouées. Ma description de la convention aurait pu laisser penser le contraire.
Qu’en retenir de façon totalement subjective ?
Les Chimériades c'est deux jours quelque part en dehors du temps, en dehors de toute préoccupation, zéro stress, une convivialité rarement rencontrée (les rôlistes ne sont pas les introvertis souvent décrits par les ignorants), convivialité mais aussi simplicité, le plaisir de se retrouver entre passionnés, l'occasion de constater que de l'eau a coulé sous les ponts et que le jeu de rôle souvent décrit comme moribond ne s'est peut-être jamais aussi bien porté.
Encore deux ans à attendre... C'est long deux ans...
Et pour quelques liens de plus
Des comptes-rendus et des photos :
- http://sans-detour.com/index.php/Conventions/retour-sur-les-chimeriades-iv.html
- http://alias.codiferes.net/wordpress/index.php/chimeriades-2014/
- https://www.flickr.com/photos/isa_lias/sets/72157644666003243/with/14181642113/
- http://2ndage.blogspot.fr/